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Les Couleurs De Mica



Au premier plan, deux personnages sont assis côte à côté sur un banc, tournés l’un vers l’autre, ils se regardent. A gauche le petit garçon a les cheveux en bataille et son pull semble en décalage avec la tenue sportive de la jeune femme. Ils tiennent chacun le manche d’une raquette de tennis dont la couleur rappelle l’une des teintes du terrain, que l'on devine à l’arrière-plan.


Tourné à Casablanca en 2019, et produit par LA PROD et ELZEVIR Films, Mica est le troisième film du réalisateur Ismaël Ferroukhi (Le Grand voyage, Les Hommes libres) et le premier long métrage de fiction de la directrice de la photographie Eva Sehet. Pour ce projet, Eva Sehet a choisi de travailler avec un étalonneur qu’elle connait bien : Gadiel Bendelac, chez Micro Climat, à Paris.

 

Parallèlement au tournage de Mica en 2019, Lamia Chraibi, co-productrice du film, a participé à la création de la Fondation TAMAYOUZ CINEMA, destinée à soutenir la parité dans l’industrie du cinéma marocain en proposant un panel d’aides et de soutiens à des jeunes réalisatrices et productrices issus de toutes les classes sociales.


OPENING SHOT



Le film s’ouvre sur un calme panoramique de paysage rural marocain. La caméra suit un petit garçon qui s’avance et grimpe sur un rocher pour prendre de la hauteur, il lève les yeux vers le ciel et découvre ce nuage extraordinaire qui semble déployer des ailes.


A l’image de cette première séquence, l’histoire de ce petit garçon va sans cesse osciller entre réalisme quasi documentaire et rêverie poétique.


Issu d’un bidonville, Mica est recruté comme aide d’un agent d’entretien, dans un tennis club de Casablanca fréquenté par la bourgeoisie de la ville. Attentif aux signes du destin qui lui permettraient d’échapper à une vie dans la misère, le petit garçon va se faire remarquer par Sophia, une coach de tennis réputée, qui va le prendre sous son aile.


LA COULEUR DE LA TERRE BATTUE


Au moment de préparer le film, le réalisateur et la directrice de la photographie ont commencé par fixer le choix du décor principal du film. S’il était possible d’opter pour des terrains en gazon, leur dévolu s’est plutôt porté pour des terrains en terre battue, et ce pour des raisons purement esthétiques. Pour raconter le destin de ce jeune garçon, le réalisateur a souhaité privilégier des teintes vives et vibrantes pour ne pas sombrer dans un misérabilisme hermétique.

La couleur de ces terrains allait former de véritables aplats à l’image et le choix de cette teinte devenait donc un élément qui allait compter pour la palette du film. Ainsi la colorimétrie de Mica s’appuie sans cesse sur des contrastes de couleurs saisissant, et principalement sur l’association complémentaire du ORANGE et du BLEU.


L'équipe du film a trouvé son identité visuelle d’abord en se basant sur le décor qu'elle avait sélectionné : un terrain de terre battue et les éléments de mobilier turquoise qui le bordent. Sièges, filets, bâches, puis éléments de costumes, ont été piochés dans un bleu lumineux pour pouvoir répondre à la teinte ocre de la terre.


En raison de la jeunesse de son personnage principal (qui devait poursuivre sa scolarité en parallèle du tournage du film), celui-ci s’est déroulé en deux temps. La première partie a été principalement destinée aux séquences de jour. Eva Sehet, la directrice de la photographie, a ensuite profité de quelques semaines d’arrêt pour commencer à travailler un pré-étalonnage avec le coloriste. Ils ont ainsi mis en place ensemble différentes LUTs, en fonction de l’intensité du soleil pour réduire les contrastes de luminosité ou inversement pour intensifier la profondeur des nuits. A ce moment-là, la teinte orange a aussi été ajustée, pour avoir un rendu plus dense que saturé et gagner en nuances -tout en protégeant la chaleur des peaux-.





FOCUS SUR LE TURQUOISE


Plus vibrant que le bleu primaire, à mi-chemin vers le vert, l’intensité du turquoise en fait une couleur joyeuse. Culturellement associé à la pierre protectrice des Amérindiens, le turquoise est aussi une couleur sainte pour l’Islam et est souvent présente dans les pays du Maghreb et du Moyen Orient. Initialement le turquoise fait partie de la teinte des bleus mais petit à petit il est possible de faire dévier sa teinte vers le vert, ce qui fait naitre l’habituel dilemme de son ressenti.


En colorimétrie, il correspond au cyan, qu’il est intéressant d’associer à l’orange, sa couleur complémentaire, ou au brun pour accentuer sa profondeur et réveiller l’éclat de cette association très efficace (que les étalonneurs connaissent sous le nom « Teal and Orange »). Pour enrichir le couple cyan-orange, on peut aussi aller piocher vers le rose pour former un triangle équilatéral sur le cercle chromatique et créer une palette de couleurs dite « triadique ».


Sabrina Ouazani, au loin le turquoise dans des éléments architecturaux d’une mosquée de Casablanca


Ainsi, par le choix des décors, et avant même l’étalonnage du film, il y avait déjà une unité esthétique précise, dans le but de garder un fort contraste de couleurs entre d'une part le monde bourgeois du tennis club (vibrant et brillant, presque à l’excès), et d'autre part les scènes de rue plus douces et profondes. Le travail de l’étalonneur a été principalement de garder ces premières intentions graphiques, en ajustant certains plans ou certaines scènes, pour lesquelles les contraintes pragmatiques du tournage avaient un peu éloigné le rendu du style recherché.


LA CHALEUR SOURDE DES NUITS


Après la première partie du tournage qui avait été consacrée davantage aux séquences de jour, l’équipe a pu bénéficier de davantage de préparation pour aborder le bloc de nuit et d’errance nocturne du personnage, lequel demandait des pré-lights plus conséquents notamment en raison de la taille importante des décors.

Filmer la nuit en décor réel a été la principale difficulté pour le tournage de ce film. Dès le départ, le réalisateur et la directrice de la photo ont décidé d’aborder ces séquences par des nuances chaudes, pour pouvoir inclure les lampadaires urbains déjà présents mais aussi pour caractériser la tension et le danger qui peuvent régner dans ces lieux. Ainsi par exemple la scène de la bagarre avec les autres enfants a été éclairée par une source unique placée depuis le pont, ce qui a permis une grande liberté de mouvement et la rend visuellement réaliste.


A ce moment-là de l’histoire de Mica, le pull rouge qu’il porte est terriblement significatif et il va devenir le fil d’Ariane de ce personnage, qui cherche à émigrer clandestinement pour rejoindre l’ami qui pourrait le protéger. Le bleu qui enveloppe d’autres séquences tournées au crépuscule, ou qui est amené par le décor va ainsi trouver un écho intense. Le pull rouge nous rappelle sans cesse la violence de la condition de cet enfant, trop jeune pour être livré à lui-même dans un monde qui ne l’attend pas.


Lorsque la temporalité du récit les y amenait, l’équipe a aussi travaillé sur le bleu de la nuit, mais jamais pour l’éteindre. L’idée, pour garder le cap de leur direction artistique, a été au contraire de l’intensifier, de soutenir les bleus des ciels, parfois même de le recréer lorsque la séquence était initialement tournée en journée, sous ciel bas. La séquence du port, par exemple, était assez grise au moment du tournage et, au moment du montage, il a fallu la raccorder entre une fin de jour bleutée et une scène rouge sodium. Cette image manquait malgré tout encore de relief et elle a finalement dû être traitée comme une nuit américaine, ce qui a nécessité d’ajouter en VFX des éclairages urbains, et des phares de voitures par exemple.



Tenir en équilibre entre les contraintes d’un décor naturel, la volonté de saisir sur le vif des atmosphère du réel, et un besoin de contrôler le déroulé de son histoire, voilà la particularité de la mise en scène d’Ismael Ferroukhi pour Mica.


NAVIGUER ENTRE CONTE ET REALISME SOCIAL


Pour signer son premier long métrage de fiction, la directrice de la photographie a pu s’appuyer sur son expérience conséquente en documentaire, qui a été l’un de ses atouts pour apporter au film la maitrise et la légèreté dont il avait besoin.

Le budget de ce film est assez modeste et il n’était pas pensable de partir avec une machinerie extraordinaire, qui aurait pu de surcroit intimider l’acteur principal, tout jeune à ce moment-là. Le réalisateur et la directrice de la photo ont su jouer de cette contrainte budgétaire pour s’octroyer justement une souplesse dans la mise en scène et s’en sont servi pour aller chercher de la spontanéité au jeu. Eva Sehet est partie pour ce film avec un équipement de prise de vues relativement léger constitué d’une caméra Arri Alexa mini accompagnée d’optiques Zeiss T2-1, de filtres Glimmer glass pour adoucir leur définition et d’un zoom Angénieux 25-250mm sur lequel elle avait même prévu un doubleur de focale. Mais au moment des premières prises de vues, elle a tout de suite compris que le réalisateur ne souhaiterait pas de plans au zoom. Le mouvement Zoom ne l’intéressait pas.


« Le Zoom n’était pas du tout un outil que le réalisateur souhaitait utiliser en tant que tel mais ça l'a complètement intéressé sur ma capacité à aller saisir des choses sur le vif et il s’en est très vite emparé comme d’une vraie liberté de mise en scène. »

Eva Sehet


Ils ont imaginé par exemple des séquences à l’esthétique très documentaire pour illustrer la réalité sociale marocaine, comme lorsque le petit garçon mendie entre les voitures qui attendent à un feu rouge et qui a été filmé au zoom depuis un toit, ou lorsqu’ils ont tourné de nuit les séquences dans les entrepôts.

Le zoom permettait aussi de détourner rapidement la caméra de la scène principale pour aller film un micro-évènement qui se passait en off et qui faisait sens pour le film.

A l’étalonnage les plans tournés au zoom étaient ensuite légèrement refroidis pour les faire matcher avec les plans shootés à la serie Zeiss.


Eva Sehet perchée sur un Lader Pod, élement de machinerie légère qui permet d’obtenir des fortes plongées


A l’inverse des séquences prises sur le vif, pour lesquelles le découpage naissait des décors et du jeu des acteurs, certaines scènes ont été précisément storyboardées, c’est le cas principalement des séquences de tennis et notamment de la scène finale.


Au moment de préparer le film, le réalisateur et la directrice de la photographie ont particulièrement étudié le filmage de matchs de tennis. Il y a finalement peu de films de cinéma qui parlent de tennis et c’est surtout le film Borg McEnroe de Janus Metz Pedersen qui les a convaincus pour décider précisément des axes qu’ils allaient privilégier, pour faire naitre la tension et l’émotion qui se jouent dans ce match final, entre une caméra large qui saisit l’ensemble de l’action et des contrepoints vraiment proches des acteurs pour traduire leurs efforts.


Le travail en post production, et notamment celui de l’étalonneur, Gadiel Bendelac, a été ensuite de lier les deux styles de prises du vues par une continuité chromatique et de texture. Ils ont à ce moment-là ré-équilibré l’ensemble du film en y ajoutant du grain scanné et en l’ajustant séquence par séquence ou parfois plan par plan. Il était notamment nécessaire d’atténuer le grain sur les plans en fortes contre plongée sur fond de ciel, ou autres aplats crées par le décor (qui font toujours ressortir le grain davantage).


La structure visuelle du film Mica s’est ainsi construite entre des éléments du réel, des détours par des micro-évènements magiques pris sur le vif, et des éléments plus précis de narration contrôlée.



L’EQUIPE


Réalisateur - Ismaël Ferroukhi

Directrice de la photographie - Eva Sehet

Chef décorateur - Samir Issoum

Etalonneur - Gadiel Bendelac

Laboratoire - MICRO CLIMAT Studio

Producteurs - Denis Carot et Lamia Chraibi



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